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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/156

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Un frisson lui passa dans la racine des cheveux. Le même, lui sembla-t-il, qui y était passé la nuit précédente, quand elle avait ouï ce cri de femme que Ryno avait pris pour une ruse de fraudeur, « Ah ! la ruse, la fraude ! » pensa-t-elle, en faisant tout à coup dans sa tête des associations d’idées foudroyantes, terribles ! Elle se retint sur cette pente d’éclairs, car elle sentait qu’elle devenait folle. Elle prit sa tête à deux mains pour se la rasseoir ; puis elle sourit comme réveillée d’un rêve et se dit avec une pensée qui tuait l’égarement : « Pardonne-moi, Ryno ! »

Mais elle n’en courut pas moins vers la falaise et commença de la gravir. Quoiqu’elle fût une robuste femme, mieux découplée que pas une de ces filles de Normandie qui scient le blé et vont traire, le soir, la cruche de cuivre sur l’épaule, elle ne pouvait monter vite cette pente raide et longue et courir contre cet escarpement qui la défiait et résistait à ses efforts. Il fallait du temps pour arriver à la Vigie. Elle s’arrêtait, puis reprenait d’un pas rapide son dur chemin. Elle vit un pâtre qui descendait quand elle montait, poussant devant lui deux brebis maigres. Elle lui demanda, comme au vieux matelot, s’il avait vu M. de Marigny.

« Il est là-bas avec une belle dame, — répon-