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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/182

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noble ? — reprit d’un ton gouailleur le pêcheur de crabes, en se servant d’une expression familière au vieux marin quand il racontait ses longues histoires à la veillée.

— Non ! — répondit le matelot, — il n’y faisait pas noble ! C’étaient de rudes temps. Mais on était jeune. On avait des yeux qui voyaient comme la lunette d’un capitaine, et la main sûre. Faire la guerre, trimer sur les mers avec cet enragé de Bailly, valait mieux encore que d’être échoué sur le sable comme une vieille loutre qui crèvera un de ces matins.

— J’crais — dit alors un mendiant, tout courbé par l’âge et allongé sous sa besace, lequel poussait de temps en temps les douvelles enflammées sous le chaudron, du bout de son bâton ferré, — que depuis la blanche Caroline, on n’avait pas vu de vaissiau des mers de par delà, dans le pays.

— Ne parlez pas de la blanche Caroline, vieux rôdeur ! — répondit, avec un sentiment de terreur très sincère, le pêcheur à la hotte que Griffon avait appelé Capelin. — Il faut que je pêche c’tte nuit à la mer basse, et je ne m’soucie pas de la voir se lever dans cet infernal buhan[1]. Ça porterait malheur à ma

  1. Brouillard, en dialecte normand.