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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/200

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crétion de ses douleurs, cette incrédulité, née de tant de doutes, avait pourtant transi ce qui leur restait d’intimité tiède encore. Ils s’aimaient et ils étaient froids. Marigny, dont l’âme agitée retombait aussi sur elle-même, avait ouvert devant lui une de ces cassettes en racine de buis, qu’on appelle caves, toute pleine de flacons de cristal de roche tailladé, à bouchons d’or. Depuis une heure, il se versait, avec cette âpre avidité que comprendront ceux qui souffrent, de ces essences parfumées dont un alcool meurtrier est la base, et que tous les êtres tourmentés par leur pensée adorent, parce qu’elles enivrent et qu’elles tuent, — deux bonheurs toujours à la portée de notre main !

Cette salle à manger, pavée de marbre ardoise, avec ses deux fontaines, aux vasques profondes, eût été glaciale par le temps qu’il faisait, si un grand poêle de porcelaine blanche n’eût été allumé et n’eût répandu à l’entour la chaleur mate et alourdissante du charbon dans la tôle rougie. Rien de plus triste que cette salle bâtie pour cinquante convives, et dans le désert de laquelle, ce matin-là, on en comptait deux. Les murs, blancs comme ceux d’un sépulcre, étaient verdis aux angles par la bise marine qui avait soufflé dans les jointures des fenêtres de ce manoir, si longtemps inhabité. Ils étaient couverts de quel-