Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/209

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été foulé aux pieds par le taureau noir. Être foulé aux pieds par le taureau noir, c’est souffrir de la mort d’un autre qui vous touchait, c’est avoir senti sur soi le poids du Destin. Hermangarde, qui l’aimait comme les martyrs aiment le Dieu pour lequel ils souffrent, ne put voir l’isolement de son Ryno sans éprouver ce généreux sentiment des belles âmes qui l’emporte sur toutes les situations. Elle vint à lui près de la table où il était assis, et lui prenant la tête entre ses deux bras et contre son sein :

— « Tu souffres, Ryno, — lui dit-elle, — et tu n’appelles pas Hermangarde ! Est-ce que de tous les chagrins de ta vie, quels qu’ils soient, tu ne lui dois pas la moitié ?

— Hermangarde, — répondit-il, attendri par la divine pitié de sa femme, — tu es aussi noble que belle et aussi bonne que tu es aimée ! »

Et d’assis, il lui prit la taille, à elle, debout, avec la passion qu’une âme troublée mettrait à embrasser un autel.

— « Aimée ! — dit-elle, — suis-je vraiment aimée ? » Et elle lui darda un de ces regards d’aiglonne de tendresse qui voudraient lire jusque dans les derniers replis, dans les dernières poussières du cœur.

— « Pourquoi en douterais-tu, — répondit-il, — ô ma vie ? Ah ! oui, tu es vraiment,