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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/238

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la grande porte de ton manoir de Carteret, et venant à moi comme si tu avais eu les deux ailes d’un archange aux épaules, et ton cheval, deux ailes d’hippogriffe ! »

Il sourit en entendant ces folles paroles, mais il la connaissait. Si elle était folle, elle était sincère, et la sincérité, c’est la force de Dieu, confiée un instant à des mains humaines. Tout en souriant d’incrédulité, mais d’incrédulité émue, il se pencha pour regarder dans cette glace qu’elle lui tendait, du bout de ses cinq doigts effilés. Il n’y vit rien que la lueur opaque et verdâtre du métal, mais en se penchant, sa joue toucha la joue veloutée de la Malagaise. Ah ! cette chair connaissait cette chair ! Le corps, comme l’âme, a ses ressouvenances. Si les lettres tracées avec du sang et figées sur un froid papier étaient entrées chaudes par les yeux de Ryno pour tomber tièdes sur son cœur, ici, le sang n’était plus séché. Il coulait, il circulait, carmin brûlant, derrière sa cloison transparente. Ce choc électrique de deux joues, ce fut l’étincelle à la poudre !

— « Ah ! je sais bien, — reprit Ryno qui se débattait, — je sais bien que j’aurai des remords demain, que j’emporterai tout à l’heure de tes côtés le morne dégoût de moi-même, mais pourquoi es-tu Vellini ?… » — Et déjà il la regardait, il se perdait dans ces yeux agrandis, dont