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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/321

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giques et monstrueux qui dominent également la science de l’homme et sa volonté. Je me demandais si, dans dix ans de vie commune, j’avais développé, à me repaître d’elle, un de ces goûts, fils de l’accoutumance, qui, contractés, ne se perdent plus et vont au contraire s’exaltant et s’envenimant davantage ? Était-elle pour moi, dans un autre ordre de sensations, un de ces condiments enflammés après lesquels tout paraît fade et sans saveur ? Comme ces femmes de Java, qui mâchent le bétel et donnent aux hommes de l’Europe un mordant plaisir qu’ils n’oublient plus quand ils l’ont goûté, Vellini, ce sangre azul d’une Espagne Africaine, avait-elle, avec le caviar aiguisé et incendiaire de ses caresses, allumé dans les sources de ma vie cette soif du feu qu’on n’étanche pas avec du feu, même en enfer ?… Ah ! toutes ces questions que je m’adressais vous diront assez l’état de mon âme ! Il était affreux. Je combattais et je sentais que j’étais vaincu. J’avais horreur de mon désir même, et mon désir s’accroissait de mon horreur. J’étais emporté vers la Malagaise par quelque chose d’anormal, de dépravé, de fou, comme serait la frénétique envie d’une femme grosse pour un citron vert ou pourri. Ah ! je résolus de m’affranchir de ces obsessions continuelles qui m’aigrissaient et m’enflammaient le sang dans les veines ; de