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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/350

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drais bien un verre de bon cidre pour sécher ma sueur. »

On voyait à son air gaillard et à son bissac posé en baudrier sur son corps et gonflé aux deux bouts par les charités qu’on lui avait faites, que sa journée avait été bonne.

« Si vous n’étiez pas paresseux comme im vieux liron, — reprit-il, — j’vous dirais b’en de v’nir quant et mai jusqu’au Bas-Hamet de la Butte. J’ai récolté quéque mauvais sous dans les presbytères aujourd’hui, et j’pourrions d’viser, en amis, des affaires du temps passé d’vant une chopine ou même un pot. Ça vous va-t-il, mon vieux sabord ?… ajouta-t-il gaiement, de sa voix mordante. — La bonne femme Charline a acheté dernièrement un tonneau fait avec le crû le mieux famé de Barneville. C’est le meilleur baire de la côte : amer à la bouche, doux au cœur !

— Merci !… — fit le contre-maître de l’Espérance, — c’ne serait pas de refus, si le Bas-Hamet n’était pas si loin et si j’avais mes yeux pour en r’venir ce soir, à la tombée. Mais à c’tte heure, aveugle comme je suis, il est bien tard pour naviguer tout seul, sans boussole, dans une lieue de sable, car j’ne suis pas de ces aveugles qui s’orientent d’eux-mêmes, comme j’en ai vu… Et du diable ! si le cidre de la Charline, tout bon qu’il est, serait capable de me faire retrouver mon chemin perdu.