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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/201

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diants, mais des bergers. Ils avaient la vareuse de toile écrue de la couleur du chanvre, les sabots sans bride garnis de foin, le grand chapeau jauni par les pluies, le bissac et les longs bâtons fourchus et ferrés. Des liens d’une paille dorée et luisante, solidement tressée, avec lesquels ils attachaient le porc indocile par le pied ou le bœuf têtu par les cornes, pour les conduire, se tordaient autour de leur avant-bras, comme de grossiers bracelets, et ils avaient aussi de ces liens qu’ils tressaient eux-mêmes en bandoulière par-dessus leurs bissacs, et autour de leurs reins par-dessus leur ceinture. À l’immobilité de leur attitude, à leurs cheveux blonds comme l’écorce de l’osier, à la somnolence de leurs regards vagues et lourds, il était aisé de reconnaître les pâtres errants, les lazzarones des landes normandes, les hommes du rien-faire éternel.

Quand ils entendirent derrière eux, et près d’eux, les pas du cheval de Le Hardouey, qui, sans les voir, arrivait au trot sur leur groupe, le plus rapproché se leva à demi en s’aidant de son bâton, qu’il dressa, et, par ce geste, effraya la jument, qui fit un écart.

« Orvers[1] ! — lui cria Thomas Le Hardouey en reconnaissant la tribu errante qu’il avait bannie du Clos, — est-ce pour faire broncher la monture des honnêtes gens que vous vous couchez comme des chiens ivres sur leur passage ? Engeance maudite ! le pays ne sera donc jamais purgé de vous ?… »

  1. Pour orvets, patois normand. (Note de l’auteur.)