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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/202

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Mais celui qui s’était soulevé en s’appuyant sur son bâton piqué en terre retomba et s’accroupit sur les talons ferrés de ses sabots, en jetant sur Le Hardouey un regard ouvert et fixe comme le regard d’un crapaud. C’était le pâtre rencontré par Jeanne sous la porte du Vieux Presbytère. Il portait une appellation mystérieuse comme lui et toute sa race. On l’appelait : « le Pâtre ». Personne, dans la contrée, ne lui connaissait d’autre nom, et peut-être n’en avait-il pas.

« Porqué que j’ ne coucherions pas ichin ? — répondit-il. — La terre appartient à tout le monde ! » — ajouta-t-il avec une espèce de fierté barbare, comme s’il eût, du fond de sa poussière, proclamé d’avance l’axiome menaçant du Communisme moderne. Accroupi, comme il l’était, sur le talon de ses sabots, le bâton fiché dans la terre comme une lance, la lance du partage, au pied de laquelle on doit faire, un jour, l’expropriation du genre humain, cet homme aurait frappé, sans doute, l’œil d’un observateur ou d’un artiste. Ses deux compagnons, étalés sur le ventre, comme des animaux vautrés dans leur bauge ou les bêtes rampantes d’un blason, ne bougeaient pas plus que des sphinx au désert et guignaient le fermier à cheval, de leurs quatre yeux effacés sous leurs sourcils blanchâtres. Maître Le Hardouey ne voyait dans tout cela, lui, que la réunion de trois pâtres indolents, insolents, sournois, une vraie lèpre humaine qu’il méprisait fort du haut de son cheval et de sa propre vigueur ; car il n’avait pas froid aux yeux, maître Le Hardouey, et il savait enle-