Aller au contenu

Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fusil couché en joue et qui brillait au soleil. Quand le coup fut parti, l’homme se retourna, mais il avait, dit-elle, un crêpe noir sur la figure, et il s’ensauvait comme un cat poursuivi par un quien. Tout cela, ajouta-t-elle, eut lieu si vite, et elle avait été si saisie, qu’elle n’avait pas même pu crier.

Si c’était Le Hardouey, du reste, on ne le découvrit ni à Blanchelande, ni à Lessay, ni dans aucune des paroisses voisines, et sa disparition, qui a toujours duré depuis ce temps, demeura aussi mystérieuse qu’elle l’avait été après la mort de sa femme. Seulement, s’il était resté dans l’esprit du monde, disait Tainnebouy, que l’abbé de la Croix-Jugan avait maléficié Jeanne-Madelaine, il resta aussi acquis à l’opinion de toute la contrée que Le Hardouey avait été l’assassin, par vengeance, de l’ancien moine.

Telle avait été l’histoire de maître Louis Tainnebouy sur cet abbé de la Croix-Jugan, dont le nom était resté dans le pays l’objet d’une tradition sinistre. Je l’ai dit déjà, mais il me paraît nécessaire d’insister : le fermier du Mont-de-Rauville omit dans son récit bien des traits que je dus plus tard à la comtesse Jacqueline de Montsurvent ; seulement, ces détails, qui tenaient tous à la manière de voir et de sentir de la comtesse et à sa hauteur de situation sociale, ne portaient nullement sur le fond et les circonstances dramatiques de l’histoire que mon Cotentinais m’avait racontée. À cet égard l’identité était complète ; seule, la manière d’envisager ces circonstances était différente.

Et cependant, dans les idées de la centenaire féo-