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Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/146

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ble, on se rejoint dans la prière. J’irai vers vous par là, mon père. Ne souffrez plus, ne souffre plus ! ajouta-t-elle avec une inexprimable tendresse : je viens à toi ! je viens ! je viens !

Et d’un mouvement, rapide comme l’idée, elle traversa le salon et mit violemment la main sur la clef de son appartement :

— Elle va à son crucifix, — dit Néel qui avait prié au pied de ce crucifix avec elle ; et par la porte restée ouverte ils la virent s’agenouiller devant la sainte Image. Ils ne la voyaient que de dos, il est vrai, car le grand Christ blanc était en face d’eux dans son panneau sombre. Elle courba devant lui sa tête blonde cerclée du rouge bandeau que l’amour filial y avait mis et que l’Humilité y gardait, puis la rejetant en arrière pour voir Celui qu’elle allait prier pour son père :

— Oh ! — dit-elle avec une horreur qui rendit sa douce voix presque rauque — il y a du sang sur le crucifix !…

Et d’une main nerveuse et saccadée, elle tira sur la tringle le rideau d’à côté, pour faire tomber plus de jour sur la placide image, qui étincela, dans sa pureté lisse, à cette lumière pleuvant sur elle :

— Seigneur Dieu ! — fit-elle, — c’est bien du sang ! — du sang liquide ! — du vrai sang qui