Aller au contenu

Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mourir ce matin, vers cinq heures, car c’est à cette heure-là que j’ai vu son âme au pied de mon lit et qu’elle m’a fait signe de me lever et de la suivre… Je me suis levée. J’ai mis ma jupe et mon mantelet et je me suis dit : Il faut vouloir la volonté des morts et y aller… et je suis venue aussi vite que j’ai pu avec mes vieilles jambes, car j’ai fait mon temps et je me coucherai aussi bientôt comme elle, pour ne plus me relever !

— Quoi ! vous l’avez vue ? — dit Néel.

— Jusqu’à l’aube, — répondit-elle. Elle a marché devant moi dans les chemins, — de Taillepied ici, — comme marchent les morts, sans faire de bruit, de ce pas mort qu’ils ont, les morts… Il faisait un restant de nuit claire. La lune, une lune du matin, était rongée et allait disparaître, pas plus grande qu’une pièce de six-blancs… Je l’ai suivie, sans mot lui dire, car il ne faut pas parler aux morts : et pourquoi leur parlerait-on, puisqu’ils sont des Âmes et qu’ils voient nos âmes !…

Elle marchait sans se retourner, car elle sentait bien que je la suivais… Il ventait dru… J’avais peine à tenir mon mantelet sur mes épaules, mais sa robe, à elle, ne remuait pas et tombait droitement et juste sur ses pieds, comme si l’air avait été tranquille par ce temps à décorner les bœufs… Il n’y a qu’à