Aller au contenu

Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semblait vivre dans le silence du tombeau de son mari refermé sur elle. Ainsi refoulée, cette rêveuse au front gros d’inexprimables rêves, et qui se penchait sous leur poids, sans croire avoir besoin de les cacher, vivait dans la sobre lumière qui tombait sur elle, en ce fond de coupe dont les bords étaient des montagnes, mais elle y vivait plus encore dans ses pensées, comme dans d’autres montagnes, et dans celles-ci, — comme dans les autres, — il n’y avait pas de chemins en spirale par lesquels on eût pu descendre…

Elle était cachée, mais pourtant elle était ingénue. Seulement l’ingénuité chez elle, il aurait fallu la chercher au fond de son âme et l’en faire jaillir comme on fait jaillir du fond d’une eau pure la perle d’écume qui ne monte, en bouillonnant à la surface, que quand on y plonge un vase ou la main… Personne n’avait jamais songé à plonger dans l’âme de Lasthénie. Sa mère l’adorait, mais surtout parce qu’elle ressemblait à l’homme qu’elle avait aimé avec un si grand entraînement. Elle jouissait de sa fille en silence. Elle s’en repaissait sans rien dire. Moins pieuse, moins rigide,