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Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/552

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L’APPEL AU SOLDAT

saisit, il y a quelques années, ce cinquantenaire inconnu pour en faire presque un César, presque l’Antoine d’une Cléopâtre, presque un martyr, et certes un exemplaire complet des vicissitudes où elle se joue, s’amuse encore à marquer par le bouleversement de ce jardin des morts l’entrée de ce malheureux, nu de ses titres, de ses décorations, de son honneur, de ses affections, de tout argent.

Les chefs boulangistes, qui ne s’entendent plus sur rien, se sont accordés sur ceci, que nul d’eux ne parlera. Peu d’endroits cependant conviennent mieux que cette tombe, dans cette tempête, pour y développer avec magnificence les grands lieux communs sur l’incertitude de la destinée, sur la vanité des amitiés et, plus profondément, sur le néant des intentions les plus nobles et les plus vertueuses dans l’ordre de l’action où seul vaut le succès. Mais ces idées peuvent bien être irréfutables, elles ne soit pas fécondes et l’homme politique doit les éviter. La mort du Général, qui ne sert pas directement la patrie, convient pour exalter certains patriotes. Le philosophe, intimidé par de justes hypocrisies sociales, évitera peut-être de proclamer dans un lieu public cette bienfaisance d’un suicide d’amour, mais, dans sa méditation, il reconnaîtra qu’un tel exemple peut mordre avec des avantages sur des sensibilités assoupies.

Sturel, dont l’âme est en désordre, Saint-Phlin, Fanfournot et ses louches amis, tandis qu’à travers champs et parmi cette foire de plusieurs kilomètres ils battent en retraite, vont s’assurer par un beau signe qu’un tel acte insensé vaut du moins pour transformer une âme.