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Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/553

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Sur leur passage, quelqu’un vient d’appeler Sturel. Ils s’arrêtent, reconnaissent Rœmerspacher penché à mi-corps d’une voiture. Et quand ils s’approchent pour lui serrer la main et qu’il s’efface, voici que tous distinguent, avec un chapeau adorable et les yeux pleins de pleurs, la baronne de Nelles. Au milieu des sentiments forcenés et dans cette déroute, elle les toucha comme la seule fleur qui de tout l’univers ne fût pas piétinée. Dans ce fiacre banal et sur le fossé d’une route boueuse, elle mettait une odeur délicieuse, dont les deux jeunes gens furent émus en s’inclinant pour lui baiser les doigts.

— Le pauvre homme, dit-elle, comme il l’aimait !… Mais, monsieur Sturel, quels étranges compagnons ! ajouta-t-elle, en glissant son regard de petite fille effrayée sur Fanfournot et ses deux fidèles.

— Saint-Phlin les a trouvés dans la gare du Nord, désolés et trop pauvres pour suivre le cercueil de leur chef.

Elle les admira.

— Vous ne goûtiez guère, jadis, le Général, — dit Sturel, jaloux qu’un autre eût su la faire varier.

— M. de Nelles, si vous voulez bien entrer à l’hôtel Mengelle, vous racontera que ses affaires l’appelaient à Bruxelles, mais c’est moi qui désirais faire une démarche de piété pour ces pauvres amoureux.

Cette jeune femme, comme toutes les personnes bien élevées, atténuait ses sentiments en les exprimant. Elle n’était pas née pour comprendre les sourds mouvements d’une nation ; les préjugés de sa société la dispensaient d’élaborer par elle-même des jugements, mais le drame d’Ixelles répondait à son