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Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/325

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SON PREMIER NUMÉRO

vu M. Taine, sa sensibilité s’est transformée. Jusqu’alors il avait fait jouer sa forte intelligence ; il travaillait parce que tel était son emploi naturel et son effort agréable. Avant la visite au Platane des Invalides, pas une fois encore il n’avait entendu un appel à son sens religieux. Maintenant c’est un homme de conscience : aussi n’a-t-il pas daigné se représenter qu’un journal est une entreprise commerciale, que le goût public, en 84, est particulièrement tourné à la pornographie, qu’avec un capital probablement léger, Racadot ne durera pas assez pour changer le goût public — et qu’ainsi, lui, Rœmerspacher, pour le plaisir de penser par écrit, assassine Racadot.

Celui-ci cependant désirait trop espérer pour ne pas se joindre au concert des éloges de Saint-Phlin, Suret-Lefort et Sturel.

Quand ce fut son tour, Sturel s’intimida. Il dit son titre : « L’utilité des hommes drapeaux. » Puis, sur un geste de Renaudin, qui n’avait rien osé objecter à l’article de Rœmerspacher, mais qui paraissait maintenant accablé par trop de philosophie, il jugea nécessaire de se lancer dans une sorte de préface :

— Rœmerspacher m’a souvent chicané sur l’importance que j’attribue aux grandes individualités. « C’est une conception amusante, me dit-il, mais simpliste, qu’il faudrait laisser aux enfants, au petit peuple, à tout ce qui ne peut saisir l’ampleur et la complexité des causes… » Très bien ! nous sommes d’accord ; mon thème n’est pas qu’un individu fait l’histoire, mais c’est comme exaltants et pour leur vertu éducatrice que j’entends vanter les individus. Je crois à l’utilité passagère des hommes drapeaux, à la nécessité de reconnaître systématiquement et de