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Page:Bassompierre - Journal de ma vie, 4.djvu/144

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1631. février.

« Monsieur, c’est avec la larme a l’œil, et le cœur quy me saigne, que moy quy depuis vingt ans suis vostre soldat, et ay tousjours esté sous vous, sois obligé de vous dire que le roy m’a commandé de vous arrester. » Je ne ressentis aucune emotion particuliere a ce discours et luy dis : « Monsieur, vous n’y aurés pas grand peine, estant venu expres a ce sujet comme l’on m’en avoit averty. J'ay toute ma vie esté sommis aux volontés du roy quy peut disposer de moy et de ma liberté a sa volonté : » sur quoy je luy demanday s’il vouloit que mes gens se retirassent ; mais il me dit que non, et qu’il n’avoit autre charge que de m’arrester et puis de l'envoyer dire au roy, et que je pouvois parler a mes gens, escrire et mander tout ce qu’il me plairoit, et que tout m’estoit permis. Mr de Gramont allors se leva du lit et vint pleurant a moy, dont je me mis a rire, et luy dis que, s’il ne s’affligeoit de ma prison non plus que moy, il n’en auroit aucun ressentiment, comme de vray je ne m’en mis pas beaucoup en peine, ne croyant pas y demeurer longtemps[1]. Launay ne voulut jammais qu'aucun des gardes quy estoint avec luy entrassent dans ma chambre, et peu apres arriverent devant mon logis un carrosse du roy, ses mousquetaires a cheval, et trente de ses chevaux

  1. « Le lendemain M. le mareschal de Bassompierre qui estoit venu a Senlis au devant du Roy fut arresté des le matin par de Launay lieutenant des gardes du corps et amené le mesme jour par les mousquetaires et chevau-legers du Roy en la Bastille. Il fut fort regretté dans Paris a cause de la candeur de son bon naturel. Il en fut le moins affligé de tous et prit tout son malheur par raillerie. Il fut mis dedans non pas tant pour ce qu'il avoit faict que pour ce qu’il pouvoit faire. » (Copie d’un journal de la cour conservée dans la collection Godefroy, portefeuille CCLXXXV.)