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Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/109

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Majesté, vestue d’un riche saye tout d’orfèvrerie de fin or et presque tout couvert de pierreries de prix inestimable et tant reluisante de toute pars qu’elle osioit la veue aux regardants ; son cheval couvert si mignonnement et richement de harnacheure et caparassonnement d’une si gentille entrelassure de gros cordons et houppes d’or qu’il ne seroit possible de les pouvoir représenter comme presque incomparables à la veue. Le roi était suivi de toute la cour qui allait admirer avec lui les merveilles dont on avait orné la ville.

Au dessous du Château de Pierre-en Scise, on avait érigé un obélisque de soixante-trois pieds de haut sur un piédestal de douze pieds, orné de reliefs et soutenu par quatre lions tenant l’écusson de la ville, avec l’inscription : nomen qui terminat astris. Le sommet était orné d’un croissant en argent. Entres les fentes des pierres on avait mis de l’herbe naturelle, approchant mieux de son antiquité[1] De l’autre côté du chemin, on avait préparé un spectacle qui rappelait un peu les moralités que l’âge précédent aimait à représenter aux carrefours dans les entrées solennelles[2]. Mais cette allégorie était toute pénétrée des idées et des formes de la Renaissance. Dans un jardin élevé, où l’on avait planté une forêt, on vit des cerfs, des biches et des chevreuils privés. On entendit sonner un cor et Diane apparut avec ses vierges et compagnes pour y chasser ; toutes étaient en costumes soi-disant antiques et ornées de bijoux de grande valeur. C’étaient les plus apparentes et belles femmes mariées, veufves et filles de Lyon qui jouaient leur mystère de si bonne sorte que la plupart des princes, seigneurs, gentils-hommes et courtisans en demeurèrent fort ravis, raconte Brantôme qui se flattait d’être connaisseur en beauté féminine[3]. Vers la fin de la chasse, un lion dompté vint se jeter aux pieds de la déesse qui le lia avec un ruban blanc et noir et offrit ainsi la bête humiliée au roi, en prononçant de fort bonne grâce un dizain qui est très probablement de Maurice Scève[4], à en juger d’après le style. Il va sans dire que le roi

  1. On goûtait donc en France la poésie des ruines même avant les Antiquités de Rome de J. du Bellay
  2. Encore à l’entrée de François Ier en 1515.
  3. Brantôme, éd Lalanne. t. IX, p. 18.
  4. Le grand plaisir de la chasse usitée
    Auquel par monts, vallées et campagnes
    Je m’exercite avecques mes compagnes
    Jusqu’en vos bois, Sire, m’a incitée.
    Où ce Lyon d’amour inusitée
    S’est venu rendre en ceste nostre bande,
    Lequel soudain à sa privauté grande
    J’ai recongneu et aux gestes humains
    Estre tout vostre, aussi entre vos mains
    Je le remets et le vous recommande.