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fut tout aise de voir encore, après l’étalage de la richesse et de la force militaire de la ville, celui de ses beautés féminines. Diane de Poitiers avait aussi compris le gentil compliment à son adresse qui se cachait sous cette allégorie, et elle en aimait Lyon toute sa vie[1].

On avait changé la porte de Pierre-en Scise en arc de triomphe antique à doubles colonnes tortues, cannelées et feuillées, avec toute sorte d’ornements symboliques et de peintures allégoriques qui rappellent bien plus le style baroque que le classique. Les frontispices et les piédestaux portaient des inscriptions latines. — À la place de la porte de Bourgneuf, on avait érigé un autre arc de triomphe, plus riche encore que le premier, avec d’autres allégories et inscriptions de riche et jolie invention qui rappelaient que les Lyonnais étaient fiers de l’origine romaine de leur ville.

À côté de cet arc, on avait construit avec beaucoup de soin une ruine antique où se tenaient des hommes hâlés, barbus et nus jusqu’à la ceinture et qui représentaient des satyres. Ils jouaient de divers instruments, à savoir hautbois, doussaines, saurdaines et cornets, d’une si allègre harmonie qu’elle reveilloit le cœur et les oreilles des passans.

À cette porte, le roi fut accueilli par quatre des plus anciens conseillers de la ville qui lui présentèrent un poêle superbe sous lequel le souverain poursuivit sa marche à travers la ville dont les rues étaient tendues de tapisseries à haute-lisse (comme cité qui en est richement meublée) et de tapis orientaux ; on y avait aussi fixé les seize cents écussons aux armes du roi. Les fenêtres étaient ornées de dames, damoiselles, bourgeoises et belles jeunes filles qu’il sembloit que toute la beauté du monde fust là assemblée. Au „Gryphon“ on avait érigé un trophée de France de cinquante-trois pieds de hauteur, attaché à une colonne de porphyre cannelé d’or que terminait une statue représentant la France. Deux jeunes dames lyonnaises habillées en déesses antiques, couvertes d’inestimables richesses, y attendaient le roi ; elle figuraient la Vertu et l’Immortalité, reconnaissables à des symboles qui seraient pour nous des énigmes. L’Immortalité apostropha le roi par les vers suivants :

L’heur qui t’attend, d’immortalité digne,
Fait retourner soubz toy l’aage doré :
Parquoy la France icy t’a honoré
De ce triomphe à ta vertu condigne.


    Brantôme trouve ces vers non trop mal limés et sonnants pour ce temps. Il est intéressant de remarquer qu’il copie la description de cet épisode presque mot à mot de la relation officielle de Maurice Scève ; un des rares cas où il se soit servi d’une source imprimée.

  1. Brantôme. ib.