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Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/107

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une toupie. Enfin, cette provision faite, le pauvre kraken aurait bien voulu s’ébattre un peu à la surface de la mer, mais une main de fer, la main noire, le refoulait dans l’abime, et du double mouvement de ce vivant poumon du globe provenait le phénomène des marées.

Le kraken n’était pas méchant ; mais on ne pouvait nier que ses énormes dimensions ne le rendissent au moins fort incommode pour trois petits navires comme ceux que montaient Colomb et son équipage. À son défaut, d’ailleurs, et la main noire, la main de Satan n’osât-elle point s’abattre sur une escadre ayant pour drapeau le Sauveur en croix, pour patronne la très sainte Vierge, et pour couleurs celles d’Isabelle la Catholique, comment échapper à ces aigles à deux têtes, auxquels, cent ans plus tard, la science donnait encore des ailes d’une si énorme envergure ? Comment fuir surtout ce formidable oiseau rock, qu’un voyageur arabe avait vu emportant dans ses serres un vaisseau monté par cent cinquante hommes !

Ce voyageur n’était pas le premier venu : célèbre dans tout l’Orient, sous le nom de Sindbad, deux des matelots de la Pinta, longtemps prisonniers chez les infidèles, l’avaient connu à Samarcande ; là, bien des fois, ils lui avaient entendu jurer que, pour rien au monde, il ne s’aventurerait dans la mer Ténébreuse, où le terrible oiseau faisait son séjour ordinaire, et dont il ne s’écartait jamais que pour renouveler sa provision de chair humaine.

Ces fables, et bien d’autres Christophe Colomb ne les méprisait pas autant qu’on le fait aujourd’hui ; surtout il admirait ces matelots si superstitieux, qui, tout en croyant à de pareils contes,