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Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/108

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se laissaient néanmoins conduire aux lieux mêmes qu’ils leur dépeignaient sous de si affreuses couleurs.

Pour lui, à peu près sûr que l’événement dissiperait bientôt ces illusions, il savourait déjà en avançant vers cet enfer imaginaire, des réalités plus célestes qu’aucun de ses plus beaux rêves d’enfance.

À la fois observateur et contemplateur, par un privilège des plus rares, avant qu’aucun de ses compagnons eût noté quelque différence entre l’hémisphère natal et celui où ils pénétraient, il se voyait, se sentait déjà dans un nouveau monde.

Une température moins variable, et incessamment rafraîchie par des brises aussi égales que constantes ; un air imprégné de plus vivifiantes senteurs marines, d’effluves magnétiques, dont la puissance allait bientôt se révéler par le plus bizarre de ses caprices apparents ; des eaux plus cristallines, plus salées, plus phosphorescentes ; des cieux plus resplendissants pendant le jour, et révélant, chaque nuit, des astres nouveaux ; tels étaient, en partie, les phénomènes qui ravissaient son âme de poète, tandis que jour et nuit — car il ne dormait presque pas, — assis ou debout sur la dunette du château de poupe, les yeux sur l’astrolabe ou sur la barre du timon, la sonde ou la plume à la main, tout aux moindres détails, tout à l’ensemble, admirant, calculant, priant, agissant, écrivant, il tenait son livre d’estime avec la ponctualité d’un pilote.

Il tint même deux de ces livres, à partir du 9 septembre : l’un exactement et poétiquement détaillé, était réservé à son propre usage : l’autre, fait pour rassurer l’équipage, dissimulait une partie de la distance parcourue.

Cette précaution était devenue indispensable.