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Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/115

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calme plat, qui les livrait, en perspective, à toutes les horreurs de la famine.

Cette épreuve était surtout redoutable, en ce qu’elle figurait vaguement parmi les traditions légendaires de la mer Ténébreuse ; mais, cette fois encore, l’aide de Dieu répondit pour Colomb aux victorieuses lamentations de Matheos, presque menaçant : la mer tout à coup devint grosse, tumultueuse, sans qu’il soufflât aucun vent et comme si ses lourdes vagues eussent été soulevées par un orage intérieur.

La première impression fut terrible, même pour le lieutenant Matheos. Cet homme qui ne croyait pas en Dieu crut au diable ; il crut voir la main noire se dessiner sur le ciel rouge du couchant ; il crut au kraken, au dragon de mer ; il ne crut pas encore au génie de Colomb.

Mais déjà la brise soufflait au nord-ouest ; les proues des caravelles avaient brisé leurs chaînes végétales : la petite escadre courait sur une mer libre ; l’équipage acclamait avec joie de nouveaux indices de la terre promise ; le lieutenant Matheos riait de ses terreurs en conspirant contre son amiral, et celui-ci écrivait sur son livre ces simples mots que Las Casas nous a heureusement conservés : « .… Ainsi la grosse mer me fut fort utile, ce qui ne s’était encore vu que du temps des Juifs, lorsque les Égyptiens partirent à la poursuite de Moïse délivrant les Hébreux de la servitude. »

Mais les Espagnols de Colomb n’étaient ni moins ingrats que le peuple de Dieu, ni moins malaisés à conduire, ni moins prompts à regretter les oignons d’Égypte. Délivrés désormais des craintes