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Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/122

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rait sa grande tenue. Les uniformes, bien autrement éclatants que les nôtres, étaient tirés des coffres ; les armes fourbies, moins par précaution que pour tuer le temps. On mettait les navires en état de défense, vivement, allègrement, et en défiant ces périls que la discipline ordonnait de prévoir. Vainqueurs des éléments et de l’enfer, pouvait-on redouter des hommes ? Ces mêmes marins, que des terreurs imaginaires avaient failli pousser au crime, au parricide, ils auraient maintenant assailli le Grand Kan et toutes ses armées, sur un signe de leur amiral. Matheos ne tarissait pas d’éloges sur ce dernier, et tous les matelots faisaient chorus. Commandés par un pareil chef, la réalité n’avait rien pour faire pâlir ces hommes, naguère si tremblants devant des fantômes.

Cela soit dit à la décharge de ces braves marins — Matheos excepté — qu’il ne faut juger ni à la mesure de leur chef, ni d’après nos idées. Ils étaient de leur temps, et les défaillances de leur courage ont pour excuse des superstitions, et surtout des chimères cosmographiques ayant créance chez de savants hommes du xve siècle. À moins de l’égaler, comment auraient-ils cru au génie de Colomb, tant qu’il lui manquait cette auréole du succès qui, seule, légitime aux yeux de la foule les royautés de droit ou de fait ?

Seul d’entre eux, et c’est ce qui les frappa davantage en cette mémorable veillée, Christophe Colomb n’avait point changé. Sa joie sans doute était immense, mais aucune surprise ne s’y mêlait, non plus que l’étroit sentiment de la conservation personnelle, Semblable, ou plutôt égal à lui-même, dans le triomphe et dans l’épreuve, ses compagnons mutinés l’avaient trouvé calme et