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Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/174

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vatoire tout le temps que lui laissaient de libre les devoirs de sa charge. Là, les yeux fixés sur la mer, il passait tour à tour de la prière au calcul et au rêve, tandis que les grains de son rosaire roulaient entre ses doigts plus souvent distraits qu’il ne l’aurait voulu.

On ne le voyait presque plus descendre à Palos où chaque regard lui semblait un reproche à l’ami, au protecteur de cet aventurier génois, pour qui la ville était en deuil de tant de marins chers et utiles à leurs familles.

Aussi lorsque dans la matinée du 15 mars 1493, il parut inopinément en haut de la petite ruelle qui mène au port, avant qu’il eût atteint le quai, haletant, suffoqué par l’émotion et la rapidité de sa marche, au point de ne pouvoir parler, un cri d’appel avait déjà couru de maison en maison, et à l’instant, comme par magie, toute la population de la ville était groupée autour de lui.

C’est qu’en effet, et comme on l’avait deviné, celui qui le premier avait compris le génie de Colomb, de même, il avait le premier reconnu la Niña à sa coupe, et le premier encore, il avait voulu apporter l’heureuse nouvelle à ceux qu’elle intéressait le plus après lui.

Quelle fut, au premier moment, la joie, le délire de ces pauvres gens, la réalité n’a ni exemples ni images pour l’exprimer.

Tel qu’il s’annonçait, cependant, l’événement laissait place encore à des inquiétudes. Des trois caravelles sorties du port, une seule y rentrait, la plus petite ; et, comme elle revenait portant pavillon amiral, n’y avait-il pas lieu de tout craindre pour les deux autres, les plus grandes ? Si donc le père Marchena pouvait à bon