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Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/248

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laire, Et encore moins soupçonnait-il, qu’avec ces mêmes fers dont il chargeait le révélateur du nouveau monde, il se rivait lui-même à tout jamais au piédestal de ce héros.

Au moins, le simple bon sens aurait-il pu lui rappeler que toute rigueur inutile porte avec elle sa condamnation, et qu’une respectueuse intimation d’avoir à se rendre en Espagne, n’eût pas trouvé Colomb moins soumis que ces ridicules ferrailles dont ses ennemis, les premiers, rougirent de le voir accablé.

Mais la rage et la peur avaient tellement aveuglé cet agent des rancunes bureaucratiques, qu’il s’imagina avoir fait merveilles en entendant les huées dont la lie du peuple honora le départ de Christophe Colomb et de ses frères, comme lui enchaînés.

Cet homme, qui cependant était chrétien, qui avait entendu le récit de la Passion, ne se rappela point Barrabas, quand il vit porter en triomphe le cuisinier de l’Amiral, le seul être qui, en l’absence du bourreau, se fût présenté pour river les fers de son maître, de son bienfaiteur.

À peine, cependant, la Gorda eût-elle levé l’ancre, qu’une réaction morale en faveur du grand homme emmené captif, se répandit comme un frisson dans toute l’île. Horreur chez les rares honnêtes gens, crainte vague et confusion chez les autres : la rigueur de Bobadilla fut unanimement réprouvée.

En même temps, à bord, le capitaine de la caravelle, un brave pilote, nommé Andrès Martin, et l’officier qui avait dû arrêter l’Amiral, se présentèrent devant lui, le suppliant de se laisser enlever ses fers.

Colomb ne pût qu’être sensible à cette marque d’une respec-