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Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/213

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GRANDGOUJON

dites-vous : « Je ne suis pas si innocent que j’en ai l’air, et un jour je pourrai être utile à mon pays. » Alors, d’abord, vous allez me faire le plaisir de rester où on vous a versé… Je me fous pas mal de votre accès de lyrisme !… Qu’est-ce que vous voulez encore ? Avec votre tête à jouer de la cornemuse, vous engager dans les Écossais ? Vous seriez appétissant en jupon court !… Est-ce la peur d’être traité d’embusqué ? Le mot s’applique à tous ceux qui survivent ! Il n’y en a pas tant, rassurez-vous ! Grand gosse, quand aurez-vous le sens des réalités vraies ? Regardez-vous dans une glace : vous êtes fait pour vous battre, comme moi pour jouer Jeanne d’Arc… Il n’y a pas que la guerre ! Et la paix, qui la fera ? Nous, les vieux, les macchabées ? Je leur dis ça, moi, dans le nez, au Conseil de Guerre : « Est-ce parce qu’un sacré type a fait une bourde, pour se priver de ses services, le punir et le boucler ? Mais c’est donner de la force à un vieillard gâteux, qui chipe sa place dans la vie ! » Vous, Grandgoujon, on vous installe au chaud dans un bureau. Mais vous grillez de filer au front : bêtement je vous aide, parce que, moi aussi, je suis français, moi aussi j’ai mes crises, et qu’enfin vous tombez un jour de chauvinisme. Vous partez. Pendant ce temps, qui colle-t-on sur votre rond-de-cuir ? Un veau, mon vieux !… Je sais bien, vous allez me dire : « Patron, que de fois m’avez-vous donné ce nom-là ! » Tout de même, après quinze ans à mon école, vous avez le sens de la vie ! Or il faut que cette guerre-là soit la dernière, Grandgoujon ! Ayons