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Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/237

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GRANDGOUJON

Mais Grandgoujon faisait une moue pénible. Et il ne lui monta qu’un mot aux lèvres, toujours celui de Quinze-Grammes :

— Tomate !

Punais l’ignora et Punais continua :

— Ce n’est pas tout ! La Paix, Mesdames, n’aurait pas son vrai sens, la Paix, Messieurs, serait incomplète, si le Kaiser, ce Seigneur qui fut un saigneur, n’était ni jugé ni puni. Et pour le punir où le juger ? Dieu, déjà, lui désigne son tribunal. Lui le voit, et recule en vain. De lui-même il viendra s’y traîner ! Car, en vérité je vous le dis, c’est dans la cathédrale-martyre, c’est à Reims, terre sacro-sainte, que ce bandit passera devant les Assises de l’Europe !

Avec ce dernier cri sa tête pencha, dans un suprême effort et un premier salut. Le public acclamait. De vieux messieurs levaient leurs chapeaux au bout des cannes. Monseigneur bénissait. Et, de son sabre, le colonel représentant le Gouvernement Militaire de Paris, tapait le parquet de l’estrade.

Grandgoujon sortit. Maintenant, toutes ses humeurs bouillaient ; il soufflait comme un triton… Ah ! ce Punais, quel faiseur ! Tandis qu’à ses yeux Creveau redevenait l’homme au jugement « formidable » qu’il admirait jadis. Il fila chez lui où il s’allongea sur deux chaises, dans son salon, en face du portrait d’Henri IV. Il ouvrit un livre sur l’art de la Table à travers les âges, mais il ne lut pas. Il avait le feu en lui ; il bougonna entre ses dents :