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Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/238

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GRANDGOUJON

— Et pendant ce temps, des bougres crèvent. Les usines fument et empoisonnent. Et il y a dix millions d’Européens qui ne couchent pas dans leurs lits !…

Bruit de serrure, porte qui claque : Madame Grandgoujon rentrait avec Colomb.

— Mon bon ami ! Nous vous cherchons partout. Êtes-vous souffrant ?

Grandgoujon, sans lever le nez, fit signe que oui. Sa mère s’approchait :

Ils me l’ont détraqué. Qu’est-ce que tu as ?

Alors, il les considéra tous deux bien en face, puis dans un éclat de fureur énorme :

— Ce que j’ai ? cria-t-il. Le crâne bourré !

— Oh ! dit Madame Grandgoujon, Monsieur des Sablons a été poignant, voyons ! Tu ne l’as pas trouvé admirable ?… Et Monsieur Colomb, au milieu de ses petits !… Moi, j’ai pleuré tout le temps.

— Madame, reprit alors Colomb avec une dignité triste, j’ai apprécié plus d’une fois votre cœur de patriote et je vous remercie. Nous avons chanté la Marseillaise : rien là ne légitime l’expression irritée de votre fils. Je demande donc devant vous, à mon cher ami Grandgoujon, pour qui je me sens une affection fraternelle, de s’expliquer sans détours. Il est bon, il est franc. Mais depuis une semaine je le vois transformé. Qu’il s’explique !

Sur cette sommation, Grandgoujon se leva. Il était apaisé, une fois de plus. Il se mit à remplir sa pipe en prenant du tabac dans un pot rond,