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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/105

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amis de l’auteur — et Coquelin, son principal interprète. Il s’était chargé de la victoire. Il l’enleva de verve. Le vrai vers comique sonnait enfin chez Molière et Regnard les clochettes de la rime tintinnabulante, et le scandale fut énorme d’une part si la joie ne l’était pas moins de l’autre. Au foyer et dans la galerie des bustes, les habitués s’abordaient mornes, tête basse, et ils échangeaient leurs condoléances sur la profanation du temple subventionné. Au dehors, sous le portique, un groupe de jeunes chevelus, que Catulle Mendès agglomérait déjà en Parnasse, attendait Coquelin à la sortie des artistes pour le saluer de l’ovation.

Au milieu d’eux s’agitait un grand diable osseux, tout en jambes, aux gestes de pantin de bois, à la tête d’ægipan, qui cherchait visiblement, à droite ou à gauche, n’importe, le prétexte de quelque engueulade, suivie de colletage, sans quoi rien de durable ne se consacre, depuis Hernani, au théâtre. Il s’appelait Albert Glatigny. Poète nomade, doublé d’un comédien errant dont la légende n’en laissait rien à celle de Bache pour les mystifications professionnelles, il était venu à pied et lâchant tout, de Dijon, où il était engagé, pour assister à la bataille et y contondre des crânes ponsardiens en l’honneur de son maître. Son culte pour Théodore de Banville confinait en effet à la pure idolâtrie. Il ne tolérait point la restriction la plus minime sur quoi que ce fût, vers, prose ou parole, qui émanait de ce génie, et il fallait rompre tout de suite sur ce sujet si l’on ne voulait point que les choses tournassent au pire. Ce fut ainsi que, pour La Pomme même, il eut un duel, ni plus ni moins, avec Albert Wolff, le chroniqueur,