Aller au contenu

Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et lui « fit rentrer dans la gorge » les réserves formulées par sa critique sur le chef-d’œuvre — l’absolu chef-d’œuvre, monsieur !

Dans la loge de Coquelin il y avait foule, pour le complimenter d’abord, et ensuite pour voir et entendre Banville disserter en personne sur la soirée et en reporter tout l’honneur — ses interprètes mis à part — au seul Victor Hugo, père de tous les poètes passés, présents, futurs et autres, qui là-bas, de son belvédère de Guernesey, avait « visiblement » plané dans la salle. « Rien n’était plus sûr que cette présence, contre laquelle, quand des vers étaient bien rimés, aucun exil ne pouvait prévaloir. » Dans ces sortes de paradoxes, il était irrésistible, étourdissant, sublime de foi et d’autorité. De sa petite voix grêle, comprimée entre les dents, et avec le geste du statuaire qui appose une boulette de glaise à un modelé, les yeux scintillants d’ironie, il décrivait cette apparition au milieu de vingt Parisiens et boulevardiers qui l’écoutaient bouche bée.

— Oui, mon cher Coquelin, n’en doutez pas plus qu’Hamlet ne doute de la lumière. Malgré tout ce que pourra vous en dire Camille Doucet, et le maréchal Vaillant lui-même, Victor Hugo était à l’orchestre, placé entre Théophile Gautier et Paul de Saint-Victor, et reconnaissable à en trembler. Aussi, dès que nous l’eûmes identifié, Édouard Thierry et moi, par le trou du rideau, notre assurance devint-elle profonde comme une paix intérieure. La Pomme pouvait être un four désordonné, n’être jouée que trois fois, voire même pas du tout, elle était digne d’être entendue par de bonnes oreilles, et tout est là. À qui ferez-vous croire que le Père, malgré son ser-