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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/130

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quelle vibration de tout son être déterminait en lui la colère. Il bondissait aux quatre coins comme une balle élastique. Avec des gestes de télégraphe de Chappe il égrenait, de sa voix grasse de méridional, tout le rosaire du verbe de gueule. Il tournait en fauve autour de la table, poussant du pied chaises et tabourets, renversant vaisselles, carafes et le reste, et, la ressemblance y aidant, il réalisait de façon si saisissante le Bonaparte légendaire des entrevues et traités du Danube, que j’en restais, l’aile de perdreau en l’air, stupéfait et conscient de la bêtise de ma démarche.

— À vous, reprit-il en se calmant un peu, je ne vous en veux pas le moins du monde, vous êtes visiblement un gosse, vous croyez que cela se fait, au théâtre, de céder son tour à un confrère. Mais eux, les idiots, les misérables, les « rarinantès », abuser de la candeur d’un brave garçon de poète pour l’employer à une pareille mission, se foutre de lui, le rouler dans la farine et se dégager sans bourse délier d’un engagement aussi valable que n’importe quel contrat de commerce, ah ! les fripons, les bons à pendre, les directeurs enfin, car tous se valent ! Mais, répondez-moi, ne vous ont-ils pas poussé à une autre visite ?

— Si, ils m’ont conseillé d’aller offrir le rôle de femme à Mlle

— …Fargueil, hein ?

— Oui.

— Ça y est ! C’est complet. La connaissez-vous, Fargueil ? Non ? Eh bien, allez-y de ma part, et dites-lui : Sardou retire sa pièce du Vaudeville. Il la donne à Montigny, entendez-vous, à Montigny, au