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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/185

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comme on va toujours, et, mises dans le même bonnet, nos têtes s’entre-choquaient ostensiblement. N’importe, nous étions l’École brutale. Tous les feuilletons dramatiques nous le disaient ; par conséquent, il fallait bien le croire.

Or, nous nous connaissions à peine. Je n’ai pas vu Alfred Touroude trois fois dans ma vie, et le souvenir que j’en garde est d’un long corps efflanqué et dégingandé, tout en angles, avec des yeux de fou trouant un visage osseux, raviné de plis par le mal implacable qui devait l’enlever à trente-six ans. Son agitation permanente le dévoluait à saint Guy, patron de la chorée, et son orgueil était d’un roi nègre. Le succès de sa première pièce, Le Bâtard, à l’Odéon, l’avait tapé aux méninges et il tutoyait Shakespeare sous les arcades. Ce fut Marpon qui nous présenta l’un à l’autre, mais nous ne nous plûmes qu’à moitié, n’ayant pas, comme dit Mardoche, le crâne fait de même.

Je n’ose écrire comment Villemessant, que son « bourrichon » horripilait, l’avait surnommé en ses tropes sardoniques, mais c’était quelque chose comme : Tourouduculte, et ce sobriquet roucoulant l’était bien, lui, brutaliste ! Alfred Touroude avait déjà du talent et il en aurait acquis bien davantage s’il avait atteint l’âge où l’on se convainc que rien ne vit hors du style. Alas, poor Yorick !

Sur Henry Becque, je m’en remémore davantage, d’abord parce qu’il a vécu jusqu’à plus de soixante ans, et s’est taillé une belle place dans les Lettres françaises, et ensuite parce que je fus de ses combattants à la bataille qu’il livra aux sarceyens, en juillet 1870, à la Porte-Saint-Martin.