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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/19

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Londres ou à Vienne, je ne saurais pas demander ma route. Il est vrai que le temps des répétitions s’écoulait, avec Hippolyte Moulin, à des exercices de boxe raisonnée et de chorégraphie pompéienne, dont on se reposait en dévorant Les Travailleurs de la Mer qui paraissaient alors en librairie. Le pauvre statuaire est mort fou, à Charenton, de tous les déboires de sa vie, et s’il a demandé son chien au paradis, je jurerais que c’est en français, et même en parisien, qu’il s’est adressé à saint Pierre. C’était plus sûr.


Or, un matin d’avril 1864, le malheureux maître de ma pension, M. David me manda dans son cabinet, où, tout pâle et trempé de sueur, il me tendit une lettre sous son enveloppe. Elle m’était adressée à mon nom et elle était datée de Guernesey.

C’était de Lui !!! Bonté divine !…


Or c’était l’année (1863) où sur la colonne d’Austerlitz, place Vendôme, le neveu venait de faire remplacer l’icône de l’oncle — redingote grise et petit chapeau — populaire, celle-là, par je ne sais quel bronze académique de César romain, d’ailleurs absurde, puisqu’il couronnait d’un homme en chemise la spirale des grenadiers. Cet anachronisme, doublé d’une erreur de goût artistique, avait encoléré mes dix-huit ans et déchaîné en moi un Archiloque, ou, sans remonter si loin, un Auguste Barbier. Indignatio facit versum, et j’y avais dardé des ïambes.

Qui expliquera l’illogisme de la jeunesse ? Que Napoléon fût en peplum sur la colonne ou qu’il y fût en redingote, qu’est-ce que cela pouvait nous faire, si, sous