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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/212

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part les fidèles au régime sombré, et de l’autre les zélateurs de la République rendue au peuple souverain le 4 septembre. Got, Maubant et Coquelin étaient de ces derniers, mais Dressant, Leroux, Delaunay, Febvre et Lafontaine se tenaient encore obstinément pour comédiens ordinaires de l’empereur, et ils ne lâchaient pas la partie. Le fin Regnier ne se prononçait pas, et pour Barré, plus fin encore, pourvu que la Seine coulât toujours entre ses berges et qu’on pût y pêcher à la ligne, tout gouvernement équivalait à sauver la France. Le cabinet de Verteuil était tout petit et six personnes l’emplissaient. À huit, on s’asseyait par terre, sur le bureau du secrétaire, ou l’on se prêtait les genoux les uns aux autres. Le triumvirat Got, Maubant et Coquelin y jouait au naturel la scène de Danton, Marat et Robespierre de la tragédie ponsardienne, Charlotte Corday, et ils en réalisaient à peu près les personnages redoutables. Maubant était farouche. Avec des gestes courts, cassés et cassants, il demandait des têtes et il avait l’air de les couper dans l’encrier de Verteuil. Mon cher Coquelin, toujours agité, enjambait les chaises, écrasait les pieds, et politiquait des choses et des gens à tour de bras. Doctrinaire, érudit et professoral, Got « giboyait » avec des mots concentrés, forts en philosophie, chargés d’histoire, où Tacite le disputait à Beaumarchais. Nous les écoutions du couloir menant au cabinet du secrétariat, ou d’un petit salon d’attente qui le séparait du bureau d’Édouard Thierry et formait terrain neutre. C’est dans ce petit salon que le pauvre Bressant, le soir du 4 septembre, à la nouvelle que j’apportais de la proclamation de la République à la Chambre, s’af-