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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/231

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— Sauve-nous, me criait tante Élisa. Apporte-nous du pain.

— Oh ! du bon pain blanc, pleurait l’autre.

— Vous en aurez, fis-je, ou je ne suis pas un enfant de Paris.

J’avais entendu conter à l’ambulance du Théâtre-Français que des malins en trouvaient encore à la Manutention, sous forme de biscuit militaire et même de boules de munition, et l’on s’en confiait le secret à l’oreille. Mlle Édile Riquier en avait eu pour ses blessés. J’allai résolument quai de Billy et je demandai à parler au directeur. Ce fut, ô Providence, amie des poètes, l’un de ses employés qui vint me recevoir.

— Comment, c’est toi ? s’était-il écrié, les bras levés ; il faut un Siège pour se revoir.

C’était un de mes camarades de Charlemagne, un labadens, le fort en thème de ma classe, il s’appelait d’Étivaud, et son nom est l’une des gloires du palmarès des grands concours.

— Voici ce qui m’amène, fis-je impudemment. La Comédie-Française manque de pain, et, tel que tu me vois, je viens…

Il ne me laissa pas finir.

— Tu en as, un toupet ! Mlle Riquier sort d’ici !…

Et il éclata de rire. Puis il m’entraîna dans les magasins et, m’ayant fait jurer le secret, d’où dépendait sa place, il me fourra sous le manteau une boule de munition, me glissa deux biscuits dans les poches et me fit sortir par une porte de derrière qui ouvrait sur une ruelle.

Ma chère tante Élisa eut du pain blanc.