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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/26

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cultes antiques étaient les bons, et qu’il y a vraiment des métamorphoses, que les dieux s’amusent à se « camoufler » en hommes, et que celui qui s’avançait, là, avait accroché, comme un pardessus, son nuage dans l’antichambre. Je me souviens que Charles Monselet, qui était, lui aussi, invité au dîner, eut pitié de mon trouble profond et béant, car je ne trouvais rien à répondre aux paroles de bienvenue de notre hôte.

— Tu ne le connais donc pas ? fit drôlement le spirituel gastropoète ? C’est Monsieur Tout.

Et le Grand Pan se mit à rire.

Victor Hugo était très gai, et — je vais bien étonner les philistins — extrêmement simple. La légende de son orgueil est absurde et fausse comme l’est toujours une légende. Il aimait assurément à parler de lui-même et à conter les choses de sa vie, mais, outre qu’on venait chez lui pour les entendre, il avait déjà soixante-huit ans lorsqu’il revint à Paris tailler bavette avec sa famille littéraire, et ce n’était pas sa faute, peut-être, si les enfants disaient au père : « Encore ? » Mais quoi qu’on en ait dit, il ne prenait pas la trompette de l’histoire pour la narrer, et ses propos de table étaient beaucoup plus amusants que ceux de Martin Luther. Ils ont été recueillis, d’ailleurs, et l’on peut en juger. Tous ceux qui, à titres divers, ont été admis à cette table — et ils deviennent rares déjà — savent que « Monsieur Tout » n’aimait rien tant qu’entendre et voir rire autour de lui, et qu’il ne regardait pas à un calembour pour ranimer une conversation trop respectueusement tombante. Sa plaisanterie, toute verbale, d’ailleurs, et ne jouant guère que sur les noms et les vocables,