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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/264

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En 1878, pendant l’Exposition universelle, j’avais entrepris une publication d’art où je résumais sur quarante noms de maîtres contemporains les chefs-d’œuvre des diverses Écoles de l’Europe. Pour l’Allemagne, mon choix critique s’était arrêté sur Ludwig Knaus, en qui me paraissait fleurir la qualité dominante de la race, id est : le sentiment, petite fleur bleue de la terre germanique. L’artiste m’apporta lui-même les notes biographiques et le dessin nécessaires à la livraison que je lui consacrais. C’était un petit homme très doux, pensif et réservé, et qui, l’accent à part, parlait couramment notre langue. La visite terminée, il me tira au coin de la fenêtre et d’une voix entrecoupée, il fit :

— Paris !…

— Oui, dis-je, vous voyez ? Toujours !

— Je pars demain, reprit le maître en secouant la tête.

— Eh bien ?

— J’aurais tant voulu revoir…

— Qui ?…

— Mon cher professeur, M. Robert-Fleury !…

— Qui vous en empêche ?

— Je n’ose pas… je n’ose plus !…

Et il retourna, en effet, à Düsseldorff sans avoir satisfait ce désir. Telle est la guerre, bête et factice, vous dis-je.


En voici une autre plus significative encore, que je tiens de Got, à qui j’aimais à l’entendre conter. C’était à Montretout, pendant la garde des morts. Le pont de Suresnes était la limite des positions occupées par les belligérants.