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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/276

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dominos était fondamental et notoire. Nous en avions fait une cantate :

Léon ne sait pas que mettre,
Léon est embarrassé.

que nous entonnions en fugue, comme Frère Jacques, jusqu’à ce qu’il se décidât à poser « n’importe quoi». Je n’ose dire à quel point j’étais mazette à ce jeu, comme à tous autres, du reste, et quel génie j’usais et épuisais à multiplier les pataquès. Aussi passai-je au plus tôt la main soit à Ferdinand, occupé à laver dans la serre voisine ses épures d’élève tire-ligne, ou à Émile Pinchart, adonné aux exercices légers de l’aquarelle.

Émile Pinchart, au nom prédestiné, car le pinchart est un tabouret d’atelier, était, de l’aveu même de ses camarades, le plus doué des élèves de Gérôme, et peintre jusqu’au bout des ongles. On s’arrachait ses esquisses, merveilles de coloris, transparentes, harmonieuses et d’une finesse de ton sans égale. Nous les suspendions sur les murs comme on fait des crépons japonais pour en avoir sans cesse sous les yeux la joie professionnelle et le document de la palette. Il me reste encore incompréhensible qu’un pareil artiste n’ait pas pris dans l’École contemporaine la place à laquelle tous les dieux le poussaient et qui était celle d’un Watteau nouveau. Ils me sont témoins dans l’Olympe que j’ai fait de mon mieux du moins pour les y aider.

Il avait été ouvrier encadreur, gagnait sa vie à ce travail, et comme il était tenu d’y consacrer sa journée entière, il prenait sur la nuit pour peindre, au clair de lune, dans son galetas. Je lui avais été