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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/277

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acquis dès d’abord par une sympathie dont le critère m’a rarement trompé, plus instinctive que raisonnée, et qui, dans un groupe ou dans une foule même, m’attire à la lueur de certains yeux et de certain front touché des Muses. La critique d’art que j’ai faite, et j’en ai fait beaucoup, n’a guère eu pour guide que cet instinct, et rares sont les erreurs où il m’a embourbé ; nombre de maîtres, aujourd’hui avérés, m’ont dû leur premier article.

Léon m’avait, d’ailleurs, conté de son camarade un trait d’énergie où se manifestait une vocation triomphante. Dans sa soupente, la nuit, pour se maintenir éveillé, sous la lucarne, dompter la fatigue et dessiner, l’encadreur se plongeait les pieds dans un baquet d’eau froide et luttait ainsi contre le sommeil.

Je ne sais plus si ce fut Léon lui-même ou Kæmmerer qui l’amenèrent à Gérôme, mais il fut l’un de ses élèves et le maître s’en préoccupait beaucoup, même après qu’il l’eût quitté pour voler de ses propres ailes.

— Ah ! ce Pinchart, quels jolis gris il a dans sa brosse ! Un vrai peintre, et français, celui-là ! Qu’est-ce qu’il devient ? Pourquoi ne vient-il plus me voir ? C’est chez moi qu’on dessine.

Peut-être dut-il à Gérôme lui-même, qui était très bon sous ses apparences de palikare, la joie de vendre ses premières toiles à l’éditeur Goupil, toujours est-il qu’il avait lâché l’encadrement et qu’il avait un atelier. J’ai raconté, je crois, comment je le retrouvai boucher municipal, pendant le siège, rue des Saints-Pères, où il m’offrit le régal obsidional d’un large bifteck hippophagique, mangé dans l’arrière-