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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/344

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experts et marchands y atteignent au sublime de la cécité professionnelle, et, l’on peut dire, qu’au marché des toiles, c’est l’aberration même qui tient le manche du marteau des commissaires priseurs. À l’hôtel des ventes, il y a un moyen infaillible de ne jamais se tromper sur la valeur réelle d’un tableau moderne, c’est d’acquérir celui dont personne ne veut, qu’on a pour le prix du cadre, s’il est consacré par les gorges chaudes des connaisseurs patentés.

Le problème est celui-ci, dans tous les arts :

« Donne-moi une première du Tannhäuser et je te donnerai un Richard Wagner. »

Et voici l’axiome du problème : Il n’y a pas dix hommes par génération, assez, je ne dis pas intelligents, mais assez honnêtes, pour saluer un génie nouveau à son aurore.

Demandez aujourd’hui aux maîtres de la place ce qu’ils offriraient aux héritiers du prince Stirbey pour cette Magdalena de Puvis de Chavannes que cet aventureux seigneur mit, en 1873, sous son bras pour douze cents francs, et erudimini, gentes !

Il y a deux ou trois ans, je reçus d’un des plus célèbres négociants d’art de Paris une lettre où il me priait de lui faire savoir, si j’en avais la souvenance, ce qu’était devenue une décoration de théâtre exécutée par Puvis de Chavannes chez Théophile Gautier, et dont il était question dans une ode de Théodore de Banville. Renseignements pris à bonne source, il me fut confirmé, en effet, qu’en 1863, pour célébrer l’anniversaire du père de famille, ses enfants avaient organisé une représentation du Tricorne Enchanté sur la terrasse de la maison, qu’ils en avaient joué les rôles et que c’était Puvis de Chavannes qui