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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/41

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— Gardez donc ça, fit-il en m’ouvrant son étui à cigarettes ; Buloz n’y songe même plus, et vous trouverez sans peine, parmi vos camarades porte-lyres, de braves garçons heureux de les boire à sa santé.

— Et à la vôtre ?

— Non, moi, je me porte très bien.

Je n’eus aucune peine, en effet, à trouver les camarades porte-lyres, mais nous ne bûmes point les cinq cents francs d’About, nous les mangeâmes.


En 1867, Menton n’était pas encore, et tant s’en faut, la ville fastueuse, pleine de villas à l’italienne, de palais de marbre et de grands hôtels cosmopolitains, qui en font aujourd’hui une sorte de Saint-Cloud de Monte-Carlo. Non seulement le cap Martin n’allongeait dans l’indigo frangé d’argent de la baie que sa forêt d’oliviers triséculaires, aux bras tordus comme des tentacules de pieuvres, entre lesquels une voie romaine, aux dalles effritées, se perdait sous la mousse, mais encore, sauf dans le demi-cercle embrasé de Garavan, que bordaient déjà quelques terrasses enguirlandées de rosiers grimpants, la construction moderne y apparaissait rare. Le vieux quartier sarrasinois, où les maisons s’empilent sur les flancs du roc, se superposent et grimpent en chèvres jusqu’à l’étonnant campo santo qui, de sa tour, les domine, se reflétait directement, sans obstacle, dans le miroir glauque du port, et il y doublait son château de cartes. Dans les trois torrents, enterrés à présent sous les édifices et devenus voies carrossables, j’ai cueilli par gerbes des fleurs de paradis, aux cassolettes odorantes et pourprées, et savouré à l’arbre même les pommes d’Atalante de « l’ordon-