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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/42

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nance ». Là où luisent des magasins aux étalages féeriques et pareils à des vitrines de musées, j’ai mené des parties de boules dont la nuit tombante bornait seule les revanches et les belles. J’ai fait des vers, pour Buloz, hélas ! sur l’emplacement où siffle la gare.

Il était donc assez aisé, à cette époque, de se loger à bon compte, et au centre même, dans la cité dolente pour lui laisser ce nom, et je trouvai tout de suite gîte et pâture à ma mesure, sur la place dite alors Napoléon-III, comme elle est dite aujourd’hui de la République, et pour les mêmes raisons, je pense. C’était au troisième étage d’une haute boîte donnant à même sur le port, une pension de famille tenue par une bonne et brave Phocéenne, répondant à la simple épithète homérique de Marie la Provençale, et qui avait placé sur cette location toutes ses pauvres économies de cuisinière. Trois chambres, trois pensionnaires, et une table d’hôte de douze couverts, dont la clientèle était fournie, en majeure partie, par des ingénieurs du chemin de fer de Nice à Vintimille, dont les travaux venaient de commencer.

L’une de ces chambres était occupée, à mon arrivée, par un jeune officier de la petite garnison de la ville, le lieutenant Recoursé, qui, s’il est encore de ce monde, verra que les poètes ont bonne mémoire. Il passait son temps à scier des planchettes de citronnier en forme de cœurs, dont il fabriquait des boîtes à gants qu’il offrait aux dames, non sans succès. C’était un gai soldat français, du type chasseur d’Afrique, et dont le seul défaut était de siffler sans interruption, et de siffler faux, ce qui est un prodige. Essayez.