Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/46

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ler ces concertants dans leurs écuries suspendues.

Ce qui gâta tout, du moins pour mon cher Alexandre, ce fut sa passion pour les lépidoptères, et si, pendant les promenades lexicologiques, celles à cinq francs pourtant, l’un de ces insectes aux ailes en cymbales voletait à sa vue sur les lentisques, le malheureux oubliait tout, lâchait tout, Anglais, Anglaise et le reste, et s’élançait, le chapeau au poing, à la chasse irrésistible. Presque toujours, il revenait avec la proie miroitante, mais il ne trouvait plus les élèves là où il les avait laissés, béants, et sa clientèle s’espaçait.

— Ils m’injurient, philosophait-il, mais comme je n’entends pas un mot de leur baragouin, c’est comme s’ils me complimentaient et je leur serre la main à tout hasard.

Il est certain que les papillons le rendirent fou, cela n’a jamais fait pour moi l’ombre d’un doute. Dans la chambre qu’il occupait sur le cours, il y en avait aux murs, aux rideaux, aux chaises, aux tapis, aux vitres et miroirs, du haut en bas, jusqu’au plafond, de telle sorte que, la senteur aidant, on s’y croyait dans quelque grotte de camphre irradiée des prismes du soleil couchant. À toutes les questions que nous lui posions sur l’origine d’un goût qui tournait à l’aberration, il se bornait à nous répondre par le petit vers de la vieille chanson de Thibaut de Champagne : « Ce me vient d’enfance !… » J’ai toujours pensé que le pauvre garçon, roulé dans la vie comme une épave dans la marée, berçait la vision de ses courses d’enfant heureux à la poursuite des fleurs sans tiges et volantes.

Un jour, enfin, il passa la mesure. Il descendit sur