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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/45

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romain, opposé à l’anglo-saxon, d’où résultait un dialecte extraordinaire dont il avait fait un négoce. J’ai retenu, sans la comprendre encore, l’explication qu’il daignait m’en fournir, de lettré à lettré.

— C’est bien simple, me disait-il, je ne sais pas l’anglais, mais tu penses si je le devine !… Or, j’ai remarqué, dans mes voyages, que les gens de ce peuple errant, avec leur curiosité maladive, ont la furie d’apprendre la langue du pays où ils résident. Cette langue, ici, depuis l’annexion de 1861, c’est le patois welche de Voltaire. Celui-là, de naissance, je le sais. Tout le commerce est là, je leur en vends pour leur argent, et du pur.

— Par exemple ?

— Par exemple, ils bredouillent des mandibules la locution shakespearienne de : beefsteak with potatoes ? Je la leur traduis sans hésiter par la locution racinienne de : tranche de bœuf aux pommes de terre frites, et ça va. Il est rare que je me trompe.

— Et ils te paient ?

— À cause de ma chaîne de montre qui est en or. La leçon est de trois francs à domicile et de cinq en balade.

Je jure qu’il s’est trouvé un homme pour vivre un an, à Menton, en 1867, de cette industrie hyperbolique de dictionnaire à quatre pattes, et qu’il s’appelait Grand (Alexandre) et que, comme Pantagruel son Panurge, je l’ai aimé toute ma vie. Aussi, le soir tombé, et la journée close sur les vers pour Buloz, le welche enseigné et l’aquarelle démontrée en trois leçons, nous en allions-nous, bras dessus bras dessous, le peintre, le savant, le poète, chanter aux ânes sous la vieille ville en pyramide et réveil-