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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/82

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Georges avait bien songé à prendre un logement en ville, mais, outre qu’il ne lui restait que trente-deux francs de sa mensualité de secrétaire, il s’était rappelé les bons moments de la rue Jacob et il venait en renouveler les fastes et la tournée.

Non seulement il ne pouvait me procurer un plus vif plaisir, car nul autre ne m’était plus sympathique que cet écervelé dont la tête, à l’évent, tournait comme une girouette à toutes les brises de la fantaisie, mais encore, pour la seconde fois, il tombait à miracle. Je venais de toucher au Vaudeville une indemnité de sept cents livres pour la pièce que Coquelin m’y avait fait recevoir et que la direction me rendait. Nous pouvions donc tenir tête à l’orage ou nous abriter au moins de ses premières rafales.

Ce qu’il y a de pire dans la vie, c’est la vie elle-même, car si mauvais que soient les hommes, c’est elle en somme, qui les mène et la route où elle les conduit est celle du mal et de la douleur. On n’est jamais méchant à vingt ans. La joie de chanter, d’aimer, de rire, maintient entre le corps et l’âme cet équilibre de la santé que rien ne dérègle, ni le souci, ni la misère. C’est l’âge où l’on se sent irresponsable, libre d’entraves, « naturel » et l’égal de tous les dieux. Il semble impossible — et il l’est — que des faits, quels qu’ils soient, ou des causes, fussent-elles aussi graves qu’on l’imagine, puissent rompre des liens qu’entre Nisus et Euryale la radieuse jeunesse a noués. Les premières amitiés ont le même prisme que les amours premières et l’on emporte, vous dis-je, ses vingt ans au paradis.


— Mesdames et Messieurs, la comédie que nous