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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/171

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gauche, à son observation clairvoyante. De là une allure de fureteur, que peut-être a-t-il encore, dont je ne puis mieux définir le phénomène que par cette hyperbole : — même de face il était toujours de profil. L’excellent Jules Claretie est ainsi, mais c’est à son nez qu’il en doit la prérogative ; nez administratif s’il en fut et d’une aménité circulaire, propre aux diverses fonctions qu’il exerce. Chez Anatole France cette mobilité était immobile. Sans dévier de sa ligne olfactive, l’organe avait déjà, à l’est, flairé le bouquin rare et, à l’ouest, le bibelot d’étagère. Il a aujourd’hui une belle collection et une librairie de cardinal-prince.

C’est de ce train mohicanesque, comme en mocassins, qu’il venait rapporter à Lemerre les épreuves de cette édition de Molière dont la publication, pour la lenteur, en rendait à Pénélope, conjugale tapissière. Si l’assemblée était à son gré, il saisissait le crachoir au passage et il nous étonnait tous par sa sapience merveilleusement érudite, son éclectisme platonicien, sa force d’humaniste et sa haute politesse intellectuelle. À trente ans il était déjà Anatole France, son autorité bourgeonnait et, comme l’oranger, montrait ensemble sa fleur et son fruit.

Je crois qu’il n’y a pas de grand prosateur, en aucune langue, qui ne se soit d’abord adonné aux jeux de cestes des palestres du Pinde. Les gladiateurs de la prose révèlent les athlètes du vers. Ils en gardent les belles poses plastiques. Mais ce dont je suis plus sûr encore, c’est que, hors du savoir, il n’est écrivain qui s’impose, même de son vivant. Les peuples ont non seulement l’ouïe faite au parler rythmique des mages mais l’âme toujours docile à leurs doctrines, trans-