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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/304

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zent ensuite la femme forte, elle procéda tout de suite à la multiplication de sa fortune.

Théophile Gautier nous racontait souvent qu’il l’avait rencontrée, à ce retour de Russie, dans les Champs-Élysées. — Que faites-vous donc là, assise sur un banc, comme la veuve éplorée du monument ? — Je choisis l’emplacement de mon hôtel. Tenez, regardez, il sera ici, et non ailleurs. — Et elle lui montra le terrain même où il étale, en effet, selon son arrogant et sûr pronostic, sa grâce de palais vénitien. Car telle fut cette grande joueuse d’hommes. Il paraît qu’il en faut pour reconstruire à leurs frais les murailles des Thèbes écroulées.

La Païva était l’archétype de ces courtisanes qui ne le sont que pour l’argent et de l’argent seul sont amoureuses. Elle était faite en tirelire. On ne lui a jamais connu de béguin, même pour un égoutier en bottes, cet idéal lunaire des professionnelles. Elle avait horreur des chiens, des chats, des oiseaux, des enfants, de tout ce qui coûte sans rapporter et peut distraire de la chasse au Veau d’Or. Mais elle se serait donnée à un mineur pour une pépite ! Plus dure avec ses gens qu’une patricienne romaine, implacable à leurs moindres défaillances, magnifiquement haïe, elle ne fut jamais volée d’un sou par les plus scapinesques et elle s’en vantait à bon droit. Elle eut tout ce qui est monnayable, j’allais dire marchandable, en ce monde, et sur ce point, le temps du piano défalqué, elle s’en est allée la corbeille pleine.

Eh bien ! non. Comme Élisabeth elle avait son Calais au cœur. La malheureuse se sentait méprisée et n’arrivait pas à comprendre pourquoi, dans une Société où la considération se taxe et s’évalue au