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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/305

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chiffre de la fortune, ses amis eux-mêmes refusaient de l’introduire, quoique plus couverte de pierreries qu’une reine de Saba. Elle voulait être reçue dans le monde, tout comme une autre. Elle prenait au pied de la lettre l’axiome ironique de Balzac : « Toute femme qui a trente mille livres de rente est une femme honnête. » — Moi, j’en ai six cent mille, s’écriait-elle. Alors ?

Évidemment, parbleu, mais l’Europe n’a pas encore dit son dernier mot à l’Amérique et il reste trop de vieux jeu dans le nouveau, de telle sorte que pas un dévoué ne se dévouait pour cette présentation.

Un soir, à l’un de ces dîners mornes, compassés et dépourvus du moindre petit mot pour rire, qu’elle offrait à quelques Parisiens célèbres, elle leur annonça que, comme toujours et partout, elle était arrivée à ses fins…

— Dans un mois, dit-elle, je danserai à la cour des Bragance, en vis-à-vis d’un roi, dans un quadrille officiel. — Et elle leur présenta un gentilhomme portugais de la plus haute lignée du royaume et chamarré de tous les ordres qui forment le gilet d’un grand d’Espagne : — Mon mari, le comte de Païva.

Je ne l’ai pas connu, je ne puis rien en dire, mais je l’imagine, ce comte ! Le dieu qui préside à de pareilles unions s’incarne généralement en as de pique et taille les grandes culottes, celles qui ne laissent au décavé que le nom à vendre, au choix, ou le caisson à faire sauter. Et il fut fait comme elle avait dit, la comtesse de Païva ouvrit le bal royal à Lisbonne et tint le menuet d’un Bragance.

Sans jouer au moraliste, qu’on me permette d’estimer que le châtiment du gentilhomme outrepassa