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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/152

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laisser le principe qui imprimait au corps la force d’agir. On obtiendra une ombre active, agissante, capable d’influer sur les événements humains. Telle serait la conception primitive de la survie.

L’influence exercée ne serait d’ailleurs pas grande, si l’idée d’âme ne venait rejoindre l’idée d’esprit. Celle-ci dérive d’une autre tendance naturelle, que nous aurons aussi à déterminer. Prenons-la aussi pour accordée, et constatons qu’entre les deux notions vont se pratiquer des échanges. Les esprits que l’on suppose partout présents dans la nature ne se rapprocheraient pas tant de la forme humaine si l’on ne se représentait déjà ainsi les âmes. De leur côté, les âmes détachées des corps seraient sans influence sur les phénomènes naturels si elles n’étaient du même genre que les esprits, et plus ou moins capables de prendre place parmi eux. Les morts vont alors devenir des personnages avec lesquels il faut compter. Ils peuvent nuire. Ils peuvent rendre service. Ils disposent, jusqu’à un certain point, de ce que nous appelons les forces de la nature. Au propre et au figuré, ils font la pluie et le beau temps. On s’abstiendra de ce qui les irriterait. On s’efforcera de capter leur confiance. On imaginera mille moyens de les gagner, de les acheter, voire de les tromper. Une fois engagée dans cette voie, il n’est guère d’absurdité où ne puisse tomber l’intelligence. La fonction fabulatrice travaille déjà assez bien par elle-même : que sera-ce, si elle est aiguillonnée par la crainte et par le besoin ! Pour écarter un danger ou pour obtenir une faveur, on offrira au mort tout ce que l’on croit qu’il désire. On ira jusqu’à couper des têtes, si cela peut lui être agréable. Les récits des missionnaires sont pleins de détails à ce sujet. Puérilités, monstruosités, la liste est interminable des pratiques inventées ici par la stupidité