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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/207

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a-t-il dû en être ainsi à l’origine [1]. Reconnaissons d’ailleurs que nous sommes ici dans le domaine du simple probable, pour ne pas dire du pur possible. Nous avons seulement voulu essayer à un problème très controversé la méthode qui nous paraît d’ordinaire la plus sûre. Partant d’une nécessité biologique, nous cherchons dans l’être vivant le besoin qui y correspond. Si ce besoin ne crée pas un instinct réel et agissant, il suscite, par l’intermédiaire de ce qu’on pourrait appeler un instinct virtuel ou latent, une représentation imaginative qui détermine la conduite comme eût fait l’instinct. À la base du totémisme serait une représentation de ce genre.

Mais fermons cette parenthèse, ouverte pour un objet dont on dira peut-être qu’il méritait mieux. C’est aux esprits que nous en étions restés. Nous croyons que, pour pénétrer jusqu’à l’essence même de la religion et pour comprendre l’histoire de l’humanité, il faudrait se transporter tout de suite, de la religion statique et extérieure dont il a été question jusqu’à présent, à cette religion dynamique, intérieure, dont nous traiterons dans le prochain chapitre. La première était destinée à écarter des dangers que l’intelligence pouvait faire courir à l’homme ; elle était infra-intellectuelle. Ajoutons qu’elle était naturelle, car l’espèce humaine marque une certaine étape de l’évolution vitale : là s’est arrêté, à un moment donné, le mouvement en avant ; l’homme a été posé alors globalement, avec l’intelligence par conséquent, avec les dangers que cette intelligence pouvait présenter, avec la fonction fabulatrice qui devait y parer ; magie et animisme

  1. L’idée que le clan descend de l’animal-totem — idée sur laquelle M. Van Gennep insiste dans son intéressant ouvrage sur L’État actuel du problème totémique (Paris, 1920) — a très bien pu se greffer sur la représentation que nous indiquons.